Le parent moyen en Grande-Bretagne a publié 1.498 photos de son enfant quand celui-ci atteint l’âge de cinq ans. Un phénomène qu’on nomme le sharenting: mettre en ligne des photos et vidéos de notre progéniture. Mais que peut-on partager, et que vaut-il mieux garder pour soi? Nous avons posé la question aux mamans blogueuses Kelly Pfaff, Anne Cornut et Nina Mouton et à une experte en éducation aux médias, Elke Boudry.
“Il y a quatre ans encore, les parents partageaient la photo de leur nouveau-né sans réfléchir. On constate une plus grande retenue aujourd’hui. – Elke Boudry
Le tout premier cri
Anne Cornut(37 ans, blogueuse et maman de cinq enfants): “Je suis devenue maman pour la première fois il y a quinze ans, les réseaux sociaux n’existaient pas encore. Mais en 2008, quand j’ai accouché d’Ella et Lucas, j’ai publié leur photo sur Facebook, c’est vrai. Et ce n’était pas aussi facile qu’aujourd’hui, je n’avais pas encore de smartphone. Si j’accouchais aujourd’hui, je publierais certainement une photo de mon bébé endéans la journée. Mais partager son tout premier cri, je n’y vois aucune valeur ajoutée.”
Le lion sur la montagne
Nina Mouton (35 ans, psychologue et blogueuse) a publié des photos de son premier nouveau-né. “Pas les toutes premières images au sortir de mon ventre, hein, elle était lavée (rires). Mais j’étais tellement fière, je me sentais comme le lion sur la montagne avec Simba. Je voulais montrer mon enfant au monde entier et donc j’avais créé un album sur Facebook. Mais je dois dire qu’à l’époque, Facebook était encore un petit univers assez fermé, seuls mes amis et ma famille me suivaient.”
Est-ce que ce sera encore chouette plus tard?
Anne et Nina ont dû faire un effort pour mettre en ligne ces premières photos de leur bébé, mais depuis l’arrivée du smartphone, annoncer une naissance est devenu ‘a piece of cake’. Elke Boudry, experte en éducation aux médias: “Il y a quatre ans, les parents postaient sans réfléchir une photo de leur nouveau-né. Aujourd’hui, on constate une plus grande retenue. Les parents font preuve d’un plus grand sens critique, ils ne publieront par exemple qu’une seule photo au lieu de vingt, voire rien du tout. Ils sont plus conscients aujourd’hui qu’une fois que quelque chose est mis en ligne, il n’est pas si facile de l’en retirer. Et ils se posent aussi la question: est-ce que dans dix-huit ans, ça plaira encore à mon enfant?”
“Je comprends qu’on publie des petites fesses de bébé, car c’est fait avec un regard de parent. Mais j’ai toujours gardé en tête que d’autres pourraient interpréter ces photos différemment ou en faire un usage abusif. – Kelly Pfaff
Kelly Pfaff (42 ans) est bien placée pour savoir que les images restent. Au début des années 2000, bien avant l’arrivée des réseaux sociaux, la Flandre entière pouvait suivre sa vie de famille dans la série télévisée Les Pfaff, mais il y avait déjà des règles très strictes. Kelly: “L’accord était qu’on ne filmait jamais les enfants dans leur bain, et qu’il était interdit de montrer des parties génitales. Si un des enfants avait une pose qui aurait pu être suggestive ou mal interprétée, la séquence n’était pas diffusée. Nous voulions les protéger, car nous avions choisi de faire Les Pfaff, mais pas eux. Plus tard, j’ai fait de même sur les réseaux sociaux. Certaines choses doivent rester privées. J’ai par exemple toujours été très réservée par rapport à la nudité. Je comprends les parents qui publient des petites fesses de bébé, car on regarde cette image avec des yeux de parents. Mais j’ai toujours gardé en tête que d’autres pourraient interpréter ces photos différemment ou en faire un usage abusif. Je fais souvent la comparaison avec la circulation. Jusqu’en première secondaire, j’ai toujours accompagné mes enfants à l’école à vélo. ‘Mais maman, pourquoi on ne peut pas y aller tout seuls’, me demandaient-ils souvent. Je leur répondais: ‘Vous, je vous fais confiance, mais pas à tous les autres conducteurs.’”
Bodyshaming
“Et donc, je n’ai jamais partagé de petites fesses nues. Cela étant dit, je trouve que parfois, les réactions sont excessives par rapport à certaines images. Il y a deux ans, notre fille Shania avait publié une photo d’elle en maillot pendant les vacances. Nous nous concertons toujours avant de publier, donc elle nous avait demandé si on trouvait cette photo jolie. Nous avions dit: ‘vas-y, c’est une très chouette photo’. Vous n’imaginez pas tout ce qui a été écrit au sujet de ce cliché… Faire du bodyshaming d’une jeune fille de dix-huit ans qui se montre gentiment en maillot, mais dans quel monde vivons-nous? Je trouve que Shania a très bien géré cette affaire. L’année suivante, elle a posé dans le même maillot de bain, en tirant la langue. Sa façon de dire aux trolls: écrivez ce que vous voulez, c’est mon corps et c’est mon choix si je partage cette photo.”
Bien dans notre peau
Anne Cornut , maman de cinq enfants, ne considère pas les photos en maillot comme un problème, elle non plus: “Je n’ai jamais posté les fesses nues de mes enfants. Mais je trouve très mignon quand on les masque avec un dessin de pêche, par exemple. Et cela montre que les parents ont réfléchi. Je poste parfois des photos de vacances où mes enfants sont en bikini ou en maillot, ou moi. Et pourquoi pas, en fait? Je n’ai pas honte de mon corps, les enfants sont bien dans leur peau. Je suis assez chill à ce sujet.”
“Ce n’est pas une question de tout ou rien. – Elke Boudry
“Publier ou pas une photo qui comporte un petit peu de nudité, ce n’est pas une question de tout ou rien”, explique Elke Boudry, experte en éducation aux médias. “La prudence est évidemment de mise, car des photos dénudées ou suggestives de votre enfant peuvent faire l’objet d’un usage abusif. Le parent doit pouvoir évaluer si une photo convient pour la publication ou pas. Mais on peut aussi adapter ses réglages pour mieux protéger sa vie privée, et faire en sorte que tout le monde ne puisse pas voir vos photos. Ou bien les partager à un public sélectionné sur Whatsapp. Sinon, coller une petite pêche sur les fesses d’un bébé est un clin d’œil sympa, une façon de montrer qu’en tant que parent, on est conscient de la sensibilité de l’information. Une règle de conduite que je donne très souvent est la suivante: avant de publier, demandez-vous si cela vous aurait fait plaisir que vos parents publient la même photo de vous. Et pensez au futur: des petites fesses nues sur un petit pot, ce ne sera plus du tout chouette pour votre enfant quand il sera adolescent.”