L’experte Nicola Millard évoque le nouveau travail

27 septembre 2022 - 7 min

Inutile de rappeler que le monde a fondamentalement changé. Les entreprises et les organisations ont dû s’adapter et ont adopté une méthode de travail radicalement différente. L’impact sur les entreprises est très perceptible. Quelle forme prendra le travail à l’avenir ? Et quel rôle jouera la technologie dans ce contexte ? Nous avons interrogé Nicola Millard, Principal Innovation Partner chez BT.

Quelle forme prendra le travail de demain ?

D’après moi, la pandémie a déjà en grande partie concrétisé cet avenir. Il n’y a rien de tel qu’une crise pour amener un changement de comportement. La technologie que nous utilisons aujourd’hui pour travailler différemment existe depuis longtemps déjà. Et cette technologie se compose de trois éléments : le cloud, la connectivité et les outils de collaboration. C’est ce que j’appelle toujours la Sainte Trinité de la technologie.

 

La technologie était là depuis longtemps, mais nous n’en faisions rien. Nous n’avons pas exploité ces innombrables possibilités parce que ce n’était pas nécessaire. Nous avons appris que le travail pouvait très bien se faire en dehors des murs du bureau. Et que cette approche pouvait même s’avérer très productive. Dans le même temps, nous avons aussi pris conscience de la valeur des contacts personnels.

 

Je crois que nous sommes actuellement en période de transition. La plupart des organisations expérimentent le travail hybride, et ce n’est pas toujours un succès. On fait souvent machine arrière. Je pense qu’il doit y avoir une volonté d’apprendre ce qui a bien fonctionné et où il y a moyen de faire mieux.

 

À l’avenir, les choses ressembleront donc en partie à ce qu’elles étaient avant la pandémie. À noter que notre manière de travailler était déjà en train de changer avant le coronavirus. Il faut se demander comment faire en sorte que le nouveau travail fonctionne pour tous, car même avant la pandémie, c’était loin d’être le cas pour tout le monde. Par ailleurs, nous devons de plus en plus veiller à ce que la planète s’en porte bien aussi. La crise énergétique nous incite à réfléchir à l’utilisation de l’énergie.

 

Là encore, le changement climatique ne date pas d’hier, mais ce n’est que lorsqu’il nous a touchés financièrement que nous avons commencé à modifier notre comportement. D’autres facteurs interviennent également, notamment la pénurie sur le marché du travail. Nous devrons sans doute miser davantage sur l’automatisation pour accomplir les tâches simples, mais chronophages. Le rôle de l’humain n’en sera pas inutile pour autant. Au contraire ! Nos tâches n’en seront que plus intéressantes et plus stimulantes.

Nicola Millard est Principal Innovation Partner chez BT Group. Dans le cadre de cette fonction, elle aide de gros clients professionnels et des organisations du secteur public à innover, que ce soit au Royaume-Uni ou à l’étranger. Elle travaille à Adastral Park, en périphérie d’Ipswich, au siège de la recherche et de l’innovation. L’endroit est tout indiqué : c’est là que la Royal Air Force avait autrefois sa base d’innovation. Nicola joue un rôle un peu particulier : au sein d’une équipe d’ingénieurs et de techniciens, elle se concentre davantage sur la psychologie, et donc sur l’aspect le plus disruptif de l’innovation, à savoir l’humain.

Quel rôle jouera la technologie dans ce contexte ?

Le rôle du bureau fait actuellement l’objet de tous les débats. Et c’est une bonne chose. Mais quand on s’intéresse aux collaborateurs physiquement dispersés, on se rend compte que le bureau n’est pas forcément la base commune. Cet espace commun, c’est le lieu de travail digital. Je pense donc que le travail sera davantage considéré comme une plateforme digitale, plutôt que comme quelque chose qu’on fait bureau ou à domicile.

 

Nous devrons envisager le digital comme la norme. Prenez les réunions : à l’heure actuelle, elles regroupent des participants présents physiquement et virtuellement. C’est ce que j’appelle un « horrible hybrid ». Le digital doit devenir la norme : même les participants présents physiquement doivent afficher une présence digitale significative, et ceux qui ne sont pas présents physiquement doivent pouvoir l’être virtuellement. C’est un défi fascinant, car la technologie n’est pas encore tout à fait au point.

 

Nous prenons le chemin du métavers et d’autres technologies passionnantes, telles que la vidéo volumétrique, qui offriront chacune une partie de solution à l’avenir. La technologie sera de plus en plus intégrée au travail, surtout si nous optons pour une norme digitale.

Quels facteurs joueront un rôle dans la mise en place de cette nouvelle norme digitale ?

De nombreux managers demandent à leurs collaborateurs de revenir au bureau, sans se poser la question du « pourquoi ». Comme je l’ai déjà dit : beaucoup de travailleurs ont découvert qu’ils pouvaient être très productifs à domicile. Aujourd’hui, les entreprises demandent souvent à leurs collaborateurs de travailler 2 ou 3 jours par semaine au bureau.

 

Mais dans la pratique, les collaborateurs passent tout leur temps en réunion vidéo… Je ne pense pas que ce soit le but d’un bureau. Le rôle du bureau était déjà en train de changer avant la pandémie : il se muait en un lieu de collaboration, de communication et de travail d’équipe. Pour beaucoup, le bureau est beaucoup moins propice à la concentration.

 

Chaque collaborateur est différent. Une personne extravertie, qui a une famille nombreuse ou qui ne peut pas se retirer au calme chez elle privilégiera peut-être le bureau. Et vous préférez peut-être réaliser certaines tâches à domicile et d’autres au bureau. On constate que les introvertis s’épanouissent mieux dans des espaces plus calmes que dans des bureaux très animés.

 

D’après moi, la question fondamentale à se poser est la suivante : à quoi sert exactement le bureau ? Il suffit ensuite d’adapter le bureau à cet objectif. Avant, vous disposiez d’une surface de bureau donnée et vous calculiez le nombre de postes de travail que vous pouviez y installer. Il n’en est plus question aujourd’hui, car vous vous retrouveriez avec de nombreux postes inoccupés. Ce serait d’ailleurs dérangeant s’ils étaient tous occupés.

 

De nouveaux postes de travail intéressants voient le jour. Nous devons clairement revoir notre définition du bureau et du poste de travail, et prévoir à la fois des espaces silencieux et des zones animées. Les collaborateurs qui ont besoin de calme et de concentration seraient servis tandis que les collègues qui doivent aborder des sujets sensibles, par exemple, auraient un endroit où se réunir.

Comment les managers peuvent-ils mesurer la productivité avec autant de types de travail et de collaborateurs ?

Bonne question, en effet. Les mesures de la productivité que nous connaissons datent de l’ère industrielle, et elles ciblaient les environnements de production. Appliquées à une économie de la connaissance, elles sont beaucoup moins pertinentes. Il y a toujours une forme de présentéisme dans ces mesures de productivité : je vois des gens au bureau, cela veut dire qu’ils travaillent. Nous savons évidemment que ce n’est pas forcément le cas.

 

Comme les managers ne pouvaient plus voir leurs collaborateurs quand ils travaillaient à domicile, la productivité n’a plus été une question d’heures de travail, mais d’apport. Il faut donc définir cet « apport ». Il est difficilement quantifiable : comment mesurer cet apport dans un contexte où la connaissance joue un rôle majeur ? Les individus apportent souvent beaucoup à leurs collègues sans que ça soit forcément mesurable.

 

Sans compter que le recours accru aux outils de contrôle, par exemple pour les collaborateurs qui travaillent à distance, engendre également un stress supplémentaire. La question est souvent de savoir si on est productif quand on s’assoit face à son ordinateur. On entre dans la sphère du présentéisme digital. Ce n’est pas la bonne approche.

 

La question à se poser est la suivante : quel est l’objectif de l’organisation, et de l’équipe ? Comment puis-je aider l’équipe à comprendre son rôle dans ce cadre et quelle contribution peut-elle apporter ? La productivité englobe tous ces aspects. La manière de la mesurer au sein d’une économie de la connaissance : voilà un débat intéressant. Nous devons la redéfinir tous ensemble.

Quel sera le rôle des ressources humaines dans le contexte du nouveau travail ?

En marge du management, les ressources humaines constituent un tout autre défi. Les managers ont fait preuve d’une grande résilience et se sont adaptés très rapidement. La confiance dans les collaborateurs et l’empathie sont deux points positifs que nous a apportés la pandémie.

 

Mais ce sont aussi des points que tout le monde veut retrouver au bureau. Il a toujours été plus simple de diriger si vous pouviez circuler sur le lieu de travail et voir tout le monde à la tâche. Malgré les outils disponibles, la mission est plus complexe par voie électronique, car il faut planifier et la concertation est moins évidente.

 

On fait aujourd’hui face à la crainte de ne pas voir revenir la moitié des travailleurs au bureau. Se pose alors une question : comment gérer la situation sans léser personne ? Les préjugés dus à la proximité sont-ils inévitables ? Les managers auront plus vite tendance à mieux évaluer les collaborateurs qu’ils voient au bureau. À la clé ? Des chances de promotion en moins pour les télétravailleurs.

 

Les ressources humaines peuvent soutenir et coacher les managers à cet égard. Le rôle des RH va donc évoluer, lui aussi : leur mission consistera davantage à aider les managers à bien diriger et à aider les travailleurs à être productifs. Les évaluations périodiques seront alors peut-être moins importantes.

Comment une entreprise moderne peut-elle faire la différence dans la course aux talents ?

Soulignons que le travail hybride libère l’entreprise de la contrainte du temps et de l’espace. Votre recherche de la perle rare n’est donc plus limitée géographiquement : au lieu d’une réserve régionale de candidats, vous avez potentiellement à votre disposition des candidats issus du monde entier. Les connaissances linguistiques et les compétences techniques jouent-elles aussi un rôle dans ce cadre ?

 

D’après une récente étude de Stanford, les salariés assimilent la possibilité de télétravailler à une augmentation salariale de 5 %. Voilà un défi intéressant à l’heure où les prix de l’énergie s’envolent. Dans quelle mesure pouvez-vous augmenter les salaires ou éventuellement trouver des alternatives pour attirer les travailleurs ? En plus du travail à domicile, la flexibilité et le travail hybride constituent, selon moi, des facteurs clés dans la recherche de main-d’œuvre.

 

La rétention pose aussi un réel défi. Le sentiment d’appartenance, d’utilité, de loyauté et d’équité joue un rôle majeur dans ce cadre. Quoi qu’il en soit, les talents se font rares sur le marché du travail et les travailleurs ont la main. Mais la donne pourrait changer : on annonce une récession, qui entraînera une hausse du chômage. Mais quoi qu’il arrive, les compétences rares seront toujours très prisées et rien n’empêche les chômeurs d’acquérir de nouvelles compétences en période de récession.

Quel sera l’impact sur les villes et les communes ?

Voilà un sujet passionnant. Les villes ont toujours eu un certain pouvoir d’attraction. Bruxelles, Londres et Paris offrent un écosystème intéressant qui va au-delà du travail. Pendant la pandémie, les zones rurales ont attiré les gens pour la tranquillité qu’elles offrent. Elles garantissent un meilleur équilibre entre travail et vie privée, a fortiori dans un contexte de travail hybride. Ces questions recoupent les préoccupations en matière d’embouteillages, de changement climatique, etc. J’ai donc hâte de voir comment les villes vont évoluer.

Que doit faire le gouvernement pour soutenir les entreprises ?

Nous connaissons une période de turbulences, tout change extrêmement vite. Les crises s’enchaînent. Il importe avant tout qu’à l’avenir, les gouvernements se montrent plus flexibles qu’aujourd’hui. Il faut désormais réagir rapidement à tout ce qui nous arrive. L’organisation actuelle des gouvernements ne permet absolument pas de réagir promptement et adéquatement.

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